Réforme des collèges : culture d’établissement et pratiques enseignantes
mardi 6 octobre 2015
Comment inciter à de nouvelles organisations et à un renouvellement des pratiques pédagogiques dans les collèges de France sans risque de provoquer de la résistance chez les enseignants ? Dans quelle mesure la réforme parviendra-t-elle à transformer le cœur même de leur métier, c’est-à-dire les modalités de transmission et d’appropriation par les élèves des savoirs scolaires ? Pour les experts internationaux, seuls sont efficaces des dispositifs de formation et d’accompagnement au long cours des équipes éducatives sur leur lieu de travail. À condition encore que les enseignants en soient les principaux artisans et qu’ils puissent, en reprenant la main sur leur métier, regagner la crédibilité sociale et le capital-confiance qui leur font actuellement si cruellement défaut.
D’une culture individualiste à une culture plus solidaire
La réforme préconise de nouvelles organisations de travail pour les élèves : enseignements pratiques interdisciplinaires, travaux en petits groupes, temps d’accompagnement personnalisé. Ce qui va exiger de nouveaux savoir-faire et davantage de travail collectif pour les enseignants. Et sans nul doute un changement de culture professionnelle. Rappelons que la loi donne aux enseignants du second degré une grande autonomie pédagogique pour atteindre les objectifs des programmes scolaires. Cette liberté est en général très appréciée mais elle produit de la solitude dans l’exercice du métier, même dans les établissements difficiles où il faudrait davantage jouer collectif. De plus, la dimension discrétionnaire du travail enseignant a tendance à favoriser le conservatisme de formats pédagogiques dont l’efficacité est discutable en termes d’apprentissage scolaire. L’adhérence à des techniques d’intervention parfois désuètes, comme le cours magistral ou le « cours dialogué », constitue un frein puissant aux changements de notre système éducatif.
Dans les collèges français, il n’existe ni espace, ni moments spécifiques pour partager avec ses pairs ses expériences au travail, exprimer ses difficultés ordinaires et ainsi réinterroger ses propres pratiques pédagogiques. De tels échanges sur le métier permettraient de restaurer de l’entraide, de la complicité mais aussi de s’accorder sur des registres d’action communs, des seuils de tolérance ou d’exigence partagés. Comment passer alors d’une approche majoritairement individuelle (individualiste) et disciplinaire du métier à une approche plus solidaire et transversale (pluridisciplinaire), sans niveler par le bas l’exigence scolaire ni brider les libertés pédagogiques ?
L’établissement comme laboratoire de changement
L’établissement scolaire peut devenir le lieu hautement stratégique de transformation de la culture des enseignants, et plus largement de leur formation tout au long de leur carrière. C’est bien là qu’il faut concentrer la majorité des moyens humains et financiers pour accompagner, soutenir les équipes éducatives et les aider à transformer leurs pratiques pédagogiques. Sans attendre la réforme, de nombreux collèges ont déjà amorcé cette mutation culturelle, notamment ceux classés en éducation prioritaire. Plusieurs expérimentations en cours montrent que la création de « laboratoires d’analyse des pratiques enseignantes » sur des thèmes communs, peut redonner aux enseignants de la confiance, de nouveaux pouvoirs d’action avec des modifications significatives sur l’activité de leurs élèves.
Ces laboratoires de changement visent à recréer une entraide intergénérationnelle et à construire une culture d’établissement. Ils sont à la fois des conservatoires des pratiques professionnelles qui ont fait leurs preuves, et des espaces d’incubation de nouvelles formes d’intervention. Ce type d’analyse réflexive au plus proche des pratiques réelles (non idéalisées), constitue une piste très prometteuse de formation continue pour à la fois ressouder le corps enseignant autour de valeurs communes et constituer un répertoire partagé d’activités pédagogiques robustes.
Finalement, cette nouvelle réforme requiert que chacun des membres des équipes éducatives – de l’enseignant au formateur, du chef d’établissement à l’inspecteur – opère un changement de professionnalité, un repositionnement de ses propres missions pour contribuer à la création de nouvelles alliances au service de la réussite du plus grand nombre d’élèves. Voilà à nos yeux le défi majeur, trop souvent ignoré, de la réforme à long terme des collèges français.
Source : Café pédagogique
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[1] Luc Ria,
Professeur des universités,
Chaire Unesco sur la formation des enseignants de l’IFé-ENS de Lyon.
Auteur de « Former les enseignants au 21ème siècle. Etablissement formateur et vidéoformation ». De Boeck (2015).